Le temps de travail et l’organisation du travail

Les avancées numériques bouleversent déjà les concepts traditionnels du lieu et du temps de travail, offrant plus de flexibilité et d’autonomie aux travailleurs. Ces évolutions, qui peuvent correspondre à une volonté personnelle, s’accompagnent d’exigences croissantes de la part des entreprises en matière de flexibilité du temps de travail, et sont stimulées par des fluctuations de la demande. En outre, les études menées sur le sujet s’accordent sur la complémentarité entre la production lean (liée à son tour à l’optimisation et à l’efficacité du temps de travail) et l’industrie 4.0. En s’appuyant sur des études sociotechniques, plusieurs auteurs soutiennent l’idée qu’un environnement lean (fondé sur une culture de l’amélioration continue, selon laquelle les travailleurs ne se contentent pas d’accepter les changements, mais les motivent activement de manière durable et efficace) est un vecteur de l’industrie 4.0, qui à son tour fournit l’infrastructure technologique (disponibilité accrue des données, interconnectivité, élaboration en temps réel, etc.) pour potentiellement améliorer la capacité lean six sigma d’une entreprise. En conséquence, on peut s’attendre au développement d’une hiérarchie plus horizontale, de l’implication et de l’autonomisation des travailleurs, et des efforts des cadres pour collecter et partager les connaissances des travailleurs.

Pour relever ce défi et innover dans toutes les directions d’un point de vue technologique, organisationnel et social, l’implication des représentants des travailleurs est indispensable. En fait, pour garantir la qualité de l’emploi, ils doivent avoir leur mot à dire et apporter leurs connaissances lorsque l’entreprise organise de nouveaux environnements et horaires de travail.
Ils doivent jouer, avec la direction, un rôle dans la définition et la gestion des projets d’amélioration continue, afin de s’assurer que les travailleurs tirent aussi des avantages de la dépendance croissante des cadres envers leurs compétences cognitives. Ce faisant, les représentants des travailleurs doivent leur donner les moyens de participer concrètement à la prise de décision dès le niveau opérationnel.
Dans l’industrie sidérurgique suédoise, l’Accord sur la sécurité et la flexibilité de l’emploi est en vigueur depuis 2013. Il doit permettre d’essuyer les fluctuations du marché dans l’industrie sans licencier des travailleurs ou embaucher du personnel temporaire. Le système fonctionne comme un compte d’heures de travail, sur lequel les travailleurs créditent une partie de leur salaire correspondant à 34 heures de travail, et les employeurs y ajoutent le même montant. L’accord donne aux entreprises la possibilité de réduire le temps de travail en période de ralentissement économique, sans affecter le revenu des travailleurs. Par exemple, en temps de crise, il est possible de réduire le temps de travail de 20 % sans licenciements ni réductions de salaire, tandis que dans les périodes de croissance économique où l’entreprise a besoin d’heures supplémentaires, l’employeur peut mettre de côté la rémunération correspondant à deux heures de travail pour chaque heure supplémentaire travaillée, sans primes à verser. Limité à 150 heures de flexibilité, le système peut être activé au moyen d’une négociation collective simplifiée. Par contre, pour modifier le système en substance, la procédure de négociation classique doit être suivie.
Depuis 2016, une structure régionale de la FIM-CISL basée à Brescia encourage la réalisation de projets d’innovation organisationnelle dans les entreprises locales. Pour ce faire, le syndicat s’appuie sur l’expertise de consultants externes avec qui il collabore de longue date et en qui il a confiance. Les coûts de consultance sont supportés par les entreprises, qui, dans certains cas, peuvent puiser des ressources dans des fonds bilatéraux. Le lancement de ces projets est généralement mentionné dans les conventions collectives, mais leur mise en œuvre est détaillée dans les plans d’action concrets. Ces plans sont généralement structurés en plusieurs phases : l’analyse initiale de l’environnement de l’entreprise (par exemple, au moyen de groupes de discussion et d’ateliers avec les employés ainsi que d’entretiens avec les cadres et les représentants des travailleurs) ; l’identification des principaux domaines d’intervention et des questions critiques et la mise en place de groupes d’amélioration continue (composés des ouvriers de production et du personnel d’encadrement) ; et l’évaluation du projet global et des possibilités de le poursuivre. En général, un comité de pilotage est constitué avec des cadres, des représentants des travailleurs, des syndicalistes locaux et des consultants externes. Il se charge de la coordination et du suivi des activités, et il peut proposer des changements. Parfois, des formations destinées à l’ensemble du personnel ou aux seuls membres des groupes de travail sont organisées avant le début du projet. En menant ces projets à bien, le syndicat italien veut jouer un rôle proactif dans l’innovation au sein de l’entreprise et faire en sorte que les pratiques de participation directe des travailleurs – de plus en plus appuyées par la direction locale – représentent une opportunité pour la professionnalisation des travailleurs et leur autoémancipation.
Pour plus d’information, voir https://www.youtube.com/watch?v=nNhPaSZceU4.
En 2005, l’IF Metall et l’Association des industries mécaniques suédoises (Teknikföretagen) ont contribué à l’élaboration d’un programme national complet, intitulé Productions Lyftet. Actuellement mené par un institut de recherche, en collaboration avec sept universités et d’autres acteurs majeurs de l’industrie, le programme est financé par Vinnova (l’Agence suédoise pour l’innovation), l’Agence suédoise pour la croissance économique et régionale (Tillväxtverket) et les entreprises participantes. Il vise à encourager le changement et le renouveau organisationnels dans les entreprises suédoises (principalement les PME), en appliquant des principes de production lean. Environ 240 entreprises ont déjà participé à ce programme de changement sur 18 mois, et certaines d’entre elles ont aussi participé au programme avancé de 9 mois. Le succès du programme peut être attribué en partie à ses 7 principes directeurs (l’aide à l’auto-assistance, l’approche à long terme, la diversité comme atout, l’ouverture aux autres et l’échange d’expériences, les méthodes de travail standard, l’apprentissage par la pratique, l’habitude de prêcher par l’exemple) et son orientation à long terme, pour un développement durable. Plus récemment, le programme a étendu son champ d’application pour accompagner également les entreprises dans leur transformation numérique. Aujourd’hui, l’IF Metall et Teknikföretagen siègent au conseil d’administration du programme.
Pour plus d’information, voir https://www.produktionslyftet.se/.
En juillet 2020, les organisations patronales du secteur chimique et pharmaceutique, Federchimica et Farmindustria, ainsi que les organisations syndicales sectorielles, la FILCTEM-CGIL, la FEMCA-CISL et l’UILTEC-UIL, ont signé une convention collective visant à introduire un mode de télétravail « complémentaire et plus développé » : le « travail F.O.R. (flexibilité, objectifs et résultats) ». Cet accord repose sur la volonté de promouvoir une relation de travail moderne, en insistant sur la flexibilité de l’entreprise, l’autonomie dans le temps et le lieu de travail, et la définition et la réalisation d’objectifs et de résultats communs, tout en respectant les dispositions traditionnelles du droit du travail. Suite à cet accord, cette nouvelle manière de travailler a été ratifiée par la négociation collective dans certaines entreprises chimiques et pharmaceutiques. Par exemple, en janvier 2021, chez Sasol Italy, la branche italienne du groupe chimique sud-africain du même nom, les représentants de l’entreprise et des travailleurs ont convenu que les « travailleurs F.O.R. » exerceraient leurs activités sans restrictions sur le lieu de travail (sans poste de travail attribué au siège de l’entreprise, mais avec la possibilité d’y accéder uniquement sur préavis ou sur invitation de la direction) ou le temps de travail (avec la possibilité de déterminer librement la durée de leur travail quotidien et leurs horaires). Au contraire, les activités des « travailleurs F.O.R. » seraient organisées selon les objectifs convenus entre les travailleurs et leurs supérieures directs et communiqués aux représentants des travailleurs. Afin de promouvoir cette nouvelle organisation du travail, les parties se sont également mises d’accord sur le lancement d’un parcours de formation pour les « travailleurs F.O.R. », dans le but de les doter de toutes les compétences techniques (liées à l’utilisation des technologies numériques) et logicielles (liées à la gestion efficace du temps de travail et au partage des objectifs de l’entreprise) nécessaires. Enfin, pour compenser la distance physique entre les travailleurs, l’entreprise s’est engagée à leur fournir non seulement des plateformes en ligne pour les réunions d’entreprise et les activités de groupe à distance, mais aussi des salles de café virtuelles sur l’intranet de l’entreprise, où les collègues qui ne travaillent pas ensemble pourraient échanger des idées et discuter de tous les sujets.